Personnalités
Jean-Claude DOCTEUR (1801-1880)
Article de Jeanne-Marie Saint-Ramond, Guide Conférencière Interprète
le 2 mars 2013
La tombe de Jean-Claude Docteur se trouve dans le cimetière de Pierre-Percée dans l’allée de gauche. Quand on regarde l’inscription qui y est gravée, on est étonné de lire qu’il fut membre de L’Académie de Stanislas.
Mais cette prestigieuse Académie, qui portait encore le nom de Société Royale des Sciences, des Lettres et des Arts de Nancy, regroupait en son sein des nobles, des professeurs de médecine, de faculté, des officiers supérieurs, des ingénieurs, des avocats, des juges… .
Lui, le fils naturel de Marie-Françoise Docteur, né à Pierre-Percée en 1801, est nommé le 26 mars 1835 membre associé national de L’Académie de Stanislas et le reste jusqu’à sa mort. L’ouvrage qu’il présente cette année-là s’intitule Pensées philosophiques, morales et littéraires.
Son parcours n’est pas des plus faciles. A quinze ans, il est instituteur de son village et ne cesse de s’instruire, seul. Il se passionne pour l’écriture savante, historique et philosophique, mais il a peu de moyens et peu de lecteurs. Il se marie en 1831 et aura neuf enfants.
Il obtient son brevet d’imprimeur et décide de tout faire lui-même, écrire, imprimer, vendre. Ainsi son livre, le château de Pierre-Percée, roman historique tiré de l’histoire des Comtes de Salm dans le douzième siècle, est rédigé et imprimé par ses soins en 1840. Il travaille à l’économie, le papier est recyclé et toute sa famille est mise à contribution.
Les difficultés matérielles l’amènent probablement à changer souvent de lieu de résidence. Des années 1835 à 1879, les Mémoires de l’Académie de Stanislas le mentionnent dans des villes différentes avec une fonction différente.
- littérateur à Vic (Meurthe)
- littérateur à Raon l’Etape (Vosges)
- imprimeur à Raon l’Etape (Vosges)
- homme de lettres à Bruyères (Vosges)
- homme de lettres à Luxeuil (H-Saône)
- homme de lettres à Remiremont (Vosges)
- homme de lettres à Pierre-Percée (Meurthe-et Mlle)
La liste n’est pas complète mais on ne lui permettra pas de s’installer à Epinal.
Ses romans et ses traités de philosophie n’ayant pas le succès escompté, il se consacre progressivement à la littérature populaire et crée des almanachs. « Ce savant de village » ou le « bon docteur » comme on le nomme, décide d’écrire pour les gens simples.
En 1842, l’almanach de la gaieté, de la vérité et du bon sens sort des presses. Le succès ira grandissant alors que la concurrence est rude. Quelques années plus tard, il abandonne l’imprimerie et collabore avec la Maison Pellerin d’Epinal. 12 000 exemplaires par an sont vendus dans les Vosges et la Meurthe. L’imprimeur spinalien prolongera même la publication de cet almanach jusqu’en 1890, dix ans après la mort de Jean-Claude Docteur.
Ces petits ouvrages plaisent car ils sont ancrés dans la culture populaire ; on y trouve d’abord les fêtes, les saints, les dates des foires, les lunaisons, les observations météorologiques, puis le récit d’événements historiques, de la vie des saints, on passe ensuite à la rédaction de contes, de petites histoires, d’anecdotes et enfin des chansons en patois sans oublier une table de multiplication au dos du livret. Le tout est parsemé de gravures obtenues au moyen de bois gravés, réutilisés maintes fois.
Le portrait de cet écrivain, dressé par certains de ses contemporains, n’est pourtant pas toujours élogieux. On le trouve instable, peu fiable. C’est un original. Il fait même de la politique et se présente aux élections de 1848 comme représentant du peuple, sans grand succès. Il semble également que son épouse ait à se plaindre de violences conjugales.
Ce travail de rédaction occupe toute son énergie ; sa famille mise à contribution, supporte les hauts et les bas de cette entreprise. Au XIX° siècle, être un enfant naturel n’est pas chose facile surtout lorsqu’on a de l’ambition ! Nous pouvons cependant lui savoir gré d’avoir aimé son village. Les Mémoires de l’Académie notent sa nouvelle adresse à Pierre-Percée en 1876. Elle restera la même jusqu’à sa mort en 1880. Il passe donc les quatre dernières années de sa vie dans son village natal.
Autodidacte, il a recherché la reconnaissance parmi les savants. L’Académie l’a récompensé. Mais ce sont les petites gens qui ont contribué à son succès.
Sources :
- Conférence de Monsieur Pierre HEILI Président de la société d’histoire de Remiremont et de sa région à Saint-Dié le 3/11/2012
- Albert RONSIN : Les Vosgiens célèbres Dictionnaire biographique, 1990 (article de Mr. P. HEILI)
- L’Almanach Lorrain de 1869 de Jean-Claude DOCTEUR
- Mémoires de l’Académie de Stanislas de 1835 à 1880
Antoine SARTORIO (1885-1988)
Article de Jeanne-Marie Saint-Ramond, Guide Conférencière Interprète
Le 21 janvier 2015
Antoine Sartorio, né à Menton le 27 janvier 1885, arrive à Pierre Percée en janvier 1916. Il a 31 ans. Il n’avait certainement jamais imaginé qu’un jour il viendrait sculpter la belle pierre des Vosges : le grès rose. Antoine est un sculpteur déjà renommé travaillant en collaboration avec des architectes et un peintre ; ils ont créé leur cabinet à Paris.
Mais voilà, l’Allemagne a déclaré la guerre à la France le 3 août 1914 et en septembre de nombreux régiments ayant participé aux durs combats de Lorraine partent pour la Marne. Des réservistes, venant du Sud de la France, de la Corse et d’autres contrées arrivent et s’installent pour de nombreuses années dans les tranchées ; en effet une guerre de position, de la Chapelotte à Senones, en ce qui concerne notre petite région, remplace les champs de bataille.
Antoine est un homme qui a voyagé ; il a passé sa jeunesse au Brésil et a quitté Marseille pour Paris. Mais une grande partie de ses compagnons d’infortune n’a jamais quitté son village et parle le provençal. Et beaucoup ont déjà dépassé 40 ans. La rigueur de l’hiver vosgien a dû être un choc pour ses hommes habitués à la douceur des hivers méditerranéens.
Il faut bien avoir en tête cette situation pour comprendre l’état d’esprit du sculpteur, avant la réalisation de ses sculptures. Simple soldat parmi tant d’autres, il va exprimer à la fois la dignité et le ressenti de tous ses camarades à travers la pierre.
Le bas-relief réalisé à Pierre Percée se trouve encastré dans la roche tout en haut du village, près du cimetière. Il a été bien mis en valeur, protégé de la pluie et dans un environnement paysagé.
Antoine Sartorio fait un portrait exact de combattants appartenant à des armes différentes : un fantassin, un sapeur et un artilleur. Cette scène retrace la réalité des combats qu’il vit, lui-même, au jour le jour depuis 1914.
La présence de l’allégorie de la Victoire, à droite, sous les traits d’une déesse grecque, fait référence à la sculpture antique qu’Antoine Sartorio a étudié à l’Ecole Nationale des Beaux -Arts de Paris mais aussi au récent mouvement Art Déco ; les flammes du flambeau et les ailes de la déesse sont rigoureusement alignées au-dessus des hommes en signe de protection.
« Pour la France » est le titre du tableau, probablement commandé par le Lieutenant-Colonel Dauphin. Mais en dépit de la dureté des visages qui exprime le sacrifice exigé, la sensibilité de l’artiste arrive à percer ce que ressentent ces hommes. Il le fait avec tact et intelligence.
Il n’est pas question de critiquer, de soulever une quelconque protestation devant l’effroyable massacre qui est en train de se perpétrer de part et d’autre des tranchées françaises et allemandes. Antoine est un soldat sans reproche, qui aime son pays et qui se bat pour la Liberté ; il reçoit d’ailleurs la Croix de guerre en 1915. Mais il ne peut s’empêcher de compatir au sort de ses camarades. Au moment où il sculpte, les hommes tombent, ses amis tombent et la compagnie d’Antoine est à présent en première ligne à la Chapelotte. Entre la Vierge Clarisse et la Croix Charpentier (chemin qui mène à la Chapelotte, non loin du château de Pierre Percée), les obus éclatent de toute part ; leurs impacts restent figés, encore aujourd’hui, serrés les uns contre les autres.
Comment peut-il rendre compte de tout cela ? Au cours de sa carrière, il adopte la même attitude, en temps de guerre comme en temps de paix ; les commandes et les styles différents ne constituent pas une barrière à sa façon d’insuffler la vie dans la pierre ; il porte d’ailleurs très bien le titre de « sculpteur des corps et des âmes ». Souvent, on ne retient du tableau que l’aspect froid de ces hommes, ne laissant apparaître aucune peur sur leur visage ou dans le mouvement du corps. Il faut rester un moment devant la scène et s’apercevoir que sur la partie gauche, en totale opposition avec la partie droite, un corps tendu se braque, refusant d’avancer malgré les paroles douces d’encouragement de l’artilleur qui baisse la tête et n’ose pas regarder en arrière.
Ce corps est celui d’un cheval, masse imposante, dont les yeux exorbités, la crinière dressée et le museau haletant représentent toute la souffrance animale et surtout humaine face à cette impitoyable machine à broyer les hommes. Le journal « le Parisien » dans sa chronique du 23 septembre 1916 parle de chef-d’oeuvre, en quelque sorte de la plus belle sculpture d’Antoine Sartorio dans la montagne vosgienne.
Il est bon, à présent, de faire un petit retour en arrière, car, avant l’installation de son régiment dans la zone de Pierre Percée, Antoine Sartorio est affecté dans la zone de Senones où il va aussi exercer ses talents. Faisant partie de la 20° compagnie du 5° bataillon du 363° régiment d’infanterie, il arrive en Lorraine le 18/19 septembre 1914 et traverse à pied de nombreux villages dévastés par l’artillerie avant de rejoindre les tranchées des hauteurs de Senones.
On peut s’imaginer un décor surréaliste, avec des troncs d’arbre déchiquetés et des cimetières improvisés sur les lieux de combats. Et pourtant, Antoine ne cède pas au fatalisme, tout ce qui reste debout est beau, les sapins, les églises et il apprécie la gentillesse des gens. Il croque des dessins à ses moments de repos. Le bruit et les désastres de la guerre l’entourent et pourtant il recherche constamment la beauté. Le grès se transforme sous ses mains. Il ne sculpte pas l’horreur, mais une femme; il érige, en cette fin d’année 1914, la statue d’une jolie femme nue, à la chevelure abondante et libre. Le corps est souple et les formes bien rondes. Les soldats qui reviennent des tranchées la regardent et cela n’a rien de choquant. C’est un hymne à la vie.
Toute sa vie, Antoine Sartorio est en admiration devant le corps féminin et cherche à faire ressortir de la pierre non seulement la féminité, mais la tendresse, la maternité et l’espoir car la femme engendre la vie et non la mort.
Cette statue, disparue, peut-être détruite durant le bombardement du cimetière, avait pour nom « la fille de la mère Henry ».
Antoine Sartorio sculpte encore et encore dans notre belle région, nous laissant en héritage cet esprit libre, sachant faire parler la pierre sous ses doigts mieux qu’avec des mots.
Après la guerre, sa carrière se poursuit sans relâche, les commandes se succèdent. Il travaille à la réalisation de monuments comme le cénotaphe de l’Arc de Triomphe, les Andradas à Santos au Brésil, à la représentation de personnages illustres et bien sûr à l’exécution de monuments aux morts, d’ailleurs assez originaux. Mais il aime surtout sculpter dans le cadre d’une architecture monumentale ; ses bas et hauts reliefs prolongent les façades de l’Opéra de Marseille, de la prison des Baumettes, respectant le néo-classicisme et l’Art Déco de l’époque tout en y apportant sa touche de souplesse quand cela se révèle nécessaire. Le nombre de ses sculptures est impressionnant.
A 81 ans, il décide de quitter son atelier de Paris et se retire dans son Midi à Jouques. Au milieu de toutes ses réalisations monumentales, il continue à vivre sa passion jusqu’à sa mort à 103 ans, le 18 février 1988.
Bibliographie :
Violaine MENARD-KIENER, Antoine Sartorio, sculpteur des corps et des âmes
Roger FRANCOIS, Le soldat-sculpteur, Antoine Sartorio, 1914-1916
Les photographies du sculpteur Antoine Sartorio en 1922 et de la statue « la fille de la mère Henry » sont extraites du livre de Madame Violaine MENARD qui a eu la gentillesse de m’autoriser à les insérer dans le texte. Son livre passionnant contient la plupart des oeuvres sculptées de son grand-père.
Il est possible de demander une visite commentée gratuite du bas-relief d’Antoine Sartorio en juillet et août, sur réservation au 07-87-05-28-13 ou par courriel à l’adresse jmstr@sfr.fr