Officiers Britanniques et leurs liens avec Pierre-Percée

MARIE LE ROLLAND :
1er septembre 1944 :
14h00 : quel bel espoir le Capt. Druce vient de faire naitre, en apparaissant avec 7 soldats SAS. Il tente un coup de force : Enlever une auto appartenant à Fuchs Willy, un type de la Gestapo installé depuis peu au village. Tout le monde a accouru, je fais offrir une gerbe de fleur au Capitaine qui s’en trouve très embarrassé, mais il l’est moins parce je les lui fais offrir par une jeune fille au nom de la population ; il l’embrasse et nous promet la délivrance dans quelques jours, on coure, on est heureux, tout le monde promet du ravitaillement malgré la rareté des subsistances alimentaires. Le camp des Anglais est plus loin à Xapénamoulin, hameau de Pierre Percée (ndlr : les SAS arrivent le 06 matin à Xapénamoulin). Mon mari va chercher le pain pour le camp, chez un boulanger qui veut bien fournir sans tickets, d’autres recueillent les légumes, j’obtiens d’un gros fabricant 20 kilos de pâtes alimentaires. Hélas, les pates ne seront pas mangées, elles sont retrouvées cuites, renversées à terre, par le départ précipité du camp. Plusieurs parachutages auront lieu, avant le départ précipité du camp des Anglais, dont un dans notre jardins (ndlr : parachutage dans la nuit du 05 au 06 septembre).
17 heures : apparition des Allemands qui occupent les ruines du château, point stratégique d’où l’on peut surveiller les environs. La population reste calme, malgré les regards qui se croisent au passage de l’ennemi. Quelques maisons sont occupées, à commencer par l’atelier de serrurerie et d’électricité de mon mari, nous devons loger 2 soldats armuriers et un officier allemand.

Quelques jours se suivent sans changement ni incident.

Le soir du 4 sept. on apprend indirectement qu’il y a eu bataille à Viombois, le chef de centurie de Pierre Percée n’a pas voulu donner d’ordre à ses hommes, n’en ayant pas lui-même reçu, cependant un ordre a été donné par Thorr (ndlr : voir livre Viombois page 64). On attend la bataille dans notre coin, l’hôpital est prêt pour les blessés. Une colonie de vacances dont je suis l’économe, où les fillettes de Paris viennent se reposer l’été, me servira à cacher nos blessés. Il y a beaucoup de bonnes volontés. Infirmière-Chef des Hôpitaux de Paris pendant 25 ans, j’ai l’autorité de l’expérience sur jeunes et vieilles qui feront les unes les soins et les autres la soupe, le tout adroitement pour que les boches ne voient rien…

Quelques jours passent.

10 septembre, 14h30 :
L’adjoint au maire, faisant fonction de maire, ce dernier étant prisonnier, vient me trouver et par un signe me fait comprendre qu’il a à me causer. Je pars dans le jardin où l’on peut voir venir autour de nous. M. Michel me dit :

« Mme Le Rolland il y a deux soldats britanniques au-dessus de chez nous dont un est gravement blessé. Pouvez-vous venir le soigner, pas de docteur ».

Le docteur Meire de Celles sur Plaine est introuvable, soignant les gars du maquis. Il fut tué quelques jours aprèspar les miliciens (ndlr : voir le livre de Viombois page 90-91). Je prends ma trousse d’urgence, des médicaments, je pars. M. Michel d’un côté, moi de l’autre, on ne doit pas se grouper. J’arrive jusque chez M. Michel, donc près du camp des Anglais, et avec beaucoup de prudence nous grimpons où sont nos soldats britanniques. Le premier que j’aperçus est un grand et fort joli garçon, 30 ans environ, une barbe de quelques jours ne lui enlève par l’air aimable avec lequel il m’accueille. Au premier coup d’oeil je constate que ce n’est pas lui le blessé, il parle un peu le français. Il m’entraine auprès de son camarade étendu sur une couverture plus loin, il est pâle, plus petit, plus âgé, 35 ans environ. Il a été blessé à l’avant-bras gauche par une balle qui lui a déchiqueté les chairs, fracturé le radius, il y a un début de gangrène, le pouls est mauvais. Avant de commencer les soins je lui fais une piqure d’huile camphrée, j’envoie chercher oeufs et sucre, et lui en fait manger pour le réconforter. Celui qui n’est pas blessé est Andrew Whately-Smith, il m’apprend que depuis quelques jours ils se sont nourris d’herbe et de pommes sauvages. L’état du blessé est grave. Je dois retourner chez moi chercher d’autres médicaments, et envoyer mon mari chercher à Badonviller du sérum anti gangreneux, le pharmacien Georges de Celles est obligé de se cacher (voir livre Viombois). Nous repartons avec mon mari à travers la forêt et amenons avec nous du vin fortifiant, oeufs, sucre, etc. Il est convenu avec M. Michel que l’on va leur construire une cabane en sapin, une hutte pour passer la nuit, et que son fils leur portera à manger. Le lendemain (11 septembre), toujours à travers la forêt, je pars avec mon mari, nous sommes chargés, si nous sommes surpris avec ce que nous avons, pas de doute nous sommes bons, mais ces pauvres gars sont des braves, de plus ils ont souffert, ont eu faim pendant plusieurs jours, il faut qu’ils se rétablissent vite. On a beaucoup d’espoir, les Américains ne sont pas loin.

Le 3ème jour (12 septembre), l’état du blessé n’est guère meilleur. J’envisage pour lui sauver la vie, de lui amputer la main et la partie inférieure de l’avant-bras. Je prie beaucoup pour sa guérison et grâce à mon expérience, 25 ans de chirurgie, j’arrive à enrayer la gangrène. Puis un événement imprévu nous oblige à ne plus laisser ces soldats où ils sont, ils sont très mal installés, ils ont froid, de plus c’est très loin de chez nous. L’état du major nécessite plusieurs visites par jour pour son pansement, de plus ils ont été surpris par une personne du village, elle peut parler à tort et à travers, et nuire. Donc on décide un changement. Mon mari, grand chasseur, connait une grotte faite en 1914 au lieu-dit les Roches d’Orthomont. On pourra y aller en passant par notre jardin. Ainsi nos allées et venues ne risqueront pas de paraitre suspectes et à la tombée de la nuit (12 septembre), on installe des paillasses de la colonie, des couvertures etc., en somme ils sont assez garantis du froid, nous y apportons un petit réchaud, de l’eau, du thé, des bougies, de quoi parer au plus pressé.

Les premiers jours il faut monter plusieurs fois pour le pansement, puis 2 fois, puis 1 seule fois. Seul mon mari monte trois fois, le matin à 7h à 12h et le soir 18h. Je monte l’après-midi vers 16h, ils ne sont donc pas seuls. Le matin ils ont : pain grillé, beurre et café au lait ; le midi : potage, entrée, viande légume dessert ; le soir : soupe de légumes, oeufs et desserts. À 16h je leur porte de la pâtisserie que je fais pour eux et pendant la dégustation du gouter, nous causons, nous faisons des projets. Andrew veut dès qu’ils le pourront, que nous leur fassions connaitre Paris, en vrais parisiens que nous sommes. Le monsieur madame est trop cérémonieux, il est décidé qu’ils m’appelleront Myrhiam de mon prénom et Freddy comme j’appelle mon mari. Nous, nous les appellerons Denis et Andrew. Comme je suis très croyante, je leur attache à tous les deux une médaille d’argent de la mère du Christ et décidons s’ils reviennent en France de revenir dans cette grotte qui est baptisée par nous la grotte de Notre Dame du bon secours. On fait des promesses, Andrew et Denis nous affirment que nous irons les voir en Angleterre, qu’ils viendront nous chercher ; les pauvres chers sentent que nous les aimons. Nous leur portons des cigarettes des Française qui n’ont pas l’heur de leur plaire, mais nous n’en avons pas d’autres. Un jour Andrew me demande d’avoir du tabac de chez eux. Je compris ces pauvres, la nostalgie, le moral de ces braves soldats. Et le lendemain je leur apportais une boite ronde de tabac anglais. Voici comment je me les étais procurées. Un officier allemand sachant que nous avions de la volaille venait me demander des oeufs que je vendais pour ne pas paraitre suspecte. Ce jour-là je lui dis :

« Je veux bien mais à une condition, je fume beaucoup et comme je n’aime que les cigarettes anglaises il faut m’en fournir, vous en avez eu assez lors du parachutage ».

Le soir même j’avais mes cigarettes, avec quelle joie je les ai montées à la grotte, et avec quel enthousiasme elles furent reçues. Ils s’amusèrent beaucoup de la ruse dont j’avais usé pour obtenir des cigarettes anglaises par un officier allemand pour les remettre à ceux à qui elles étaient destinées. De ce jour ils ne manquèrent plus de cigarettes anglaises, nous nous privions d’oeufs mon mari et moi pour avoir des cigarettes. Je vois encore le beau rire d’Andrew lorsque je faisais la pédicure et la manucure et que je leur mettais du vernis incolore sur les ongles. Je leur fournissais des livres anglais que j’empruntais et un dictionnaire Français – Anglais pour Denis… Nous nous amusions à faire de longues conversations, et qui nous aurait surpris n’aurait pu penser qu’ils étaient traqués et que nous risquions notre vie, nous ne songions pas à cela, voulant leur laisser un bon souvenir de deux bons Français. Andrew aimait beaucoup Denis, ce fut lui qui l’accueillit lors de son parachutage, ce fut lui aussi qui le pansa le premier, ce fut lui qui soutint sa pauvre main, et j’appréciais beaucoup la douceur et la délicatesse de ce grand garçon. D’ailleurs il ne voulut pas l’abandonner lorsque Denis fut blessé. Pauvre cher Andrew, pauvre cher Denis, j’ai bien pleuré leur mort, deux si braves coeurs. S’ils avaient été de ma famille, je n’aurais pas eu plus de peine. Ils étaient bien contents lorsque j’avais joué un tour aux boches. Je leur racontais et leur jeunesse nous faisait plaisir, que de ruses a-t-il fallu employer pour porter de la nourriture. Je cuisinais à la cuisine naturellement où les Allemands mangeaient, je portais les plats dans notre salle à manger, je les mettais dans des boites spéciales puis dans le sac tyrolien. Je partais les porter à un endroit convenu et mon mari grimpait la côte, pendant ce temps j’amusais les boches pour qu’ils ne s’aperçoivent pas de l’absence de mon mari. Notre coeur a battu plus d’une fois, mais mon air crané désarmait les Allemands. Quant à mon mari il fut admirable, car il savait ce qui l’attendait si nous étions surpris, nous ne devions pas circuler en forêt. Quelle ruse aussi a-t-il fallu employer lorsqu’ils exprimèrent le désir de prendre un bain. Ils prirent leur bain un jour l’un, un jour l’autre, mon mari restait avec un et l’autre montait avec moi, nous avions un escalier qui montait dans le jardin, il ne fallait pas que les Allemands entendent plusieurs personnes à la maison, et comme on les roulait à chaque fois, c’était une vraie joie pour Andrew. C’était bien dangereux mais nous étions tous les quatre résolus. Et lorsque Denis alla mieux, ils partaient par pluie battante attaquer les voitures allemandes entre Raon l’Etape et Celles sur Plaine, leurs vêtements complètement trempés, ils avaient du linge et chacun un complet de mon mari pour se changer. Je séchais au fer une partie de la nuit leurs vêtements en me cachant des Allemands et je leur rapportais secs, nous riions bien car Andrew est beaucoup plus grand que mon mari et il s’amusait de sa culotte un peu courte.

Je reviens aux Allemands qu’ils tuèrent, Andrew me dit :

« Les deux premiers sont pour vous Myrhiam et vous Freddy »,

En plus ils avaient tué aussi une vache, nous ne savions comment la partager. Brefs, les autres Allemands ils se les réservèrent. Andrew était vraiment un charmant et affectueux garçon et comme il nous récompensait lorsque l’on jetait notre cri d’appel d’oiseau de la forêt, de voir apparaitre ce beau garçon avec son accueil si cordial, si chaleureux, mais parfois anxieux lorsque nous essuyions des coups de fusil. L’officier habitant près de chez nous était très amateur de chasse, et parcourait la forêt, il avait demandé à mon mari où trouver sangliers ou chevreuil. Naturellement mon mari l’entrainait dans le sens opposé d’où étaient nos amis. Mais quand il y allait seul et que c’était l’heure de porter médicaments et ravitaillement, et malgré que nous passions sous le couvert des taillis, nos pas faisaient parfois craquer les branches. Nous avons essuyé plus d’un coup de feu qui ne nous ont jamais atteint. Ils avaient peur qu’il nous arrive malheur. Ce sont deux braves coeurs, deux braves soldats et monsieur Whately-Smith peut être fier de son fils.

Lorsque le major fut à peu près guéri, que son pansement supportait quelques jours sans être refait, ils tentèrent de passer les lignes à Bertrichamps pour traverser la Meurthe, pour rejoindre les troupes américaines. Là ils firent la connaissance d’une femme en forêt nommée Marie Renault qui les cacha pendant 3 jours dans une ferme abandonnée et les ravitailla. Il avait été convenu que dans l’impossibilité de traverser les lignes, ils reviendraient à la grotte, un signal avait été convenu : un mouchoir attaché à la porte du jardin attenant à la forêt. Hélas, le 3ème jour le mouchoir était là. Ils n’avaient pas pu passer, nous reportâmes la nourriture et je fis le pansement. De là, il fut décidé que mon mari s’enquerrait d’un passeur. Il trouva un jeune chef FFI, nommé Locatelli qui, lui-même recherché par les Allemands, vint se réfugier deux jours à la maison où je le fis passer pour mon cousin, nous le proposâmes à Andrew et Denis, mais devant la question d’intérêt de ce jeune homme, ils hésitèrent, malheureusement car Locatelli passa les lignes avec un groupe armé connaissant bien la région. La région s’étant repeuplée d’Allemands avec poste d’écoutes partout, nos amis exprimèrent le désir de communiquer avec le colonel Franks et ses SAS ou de le trouver. Mon mari cherche un porteur pour le message anglais d’Andrew et de Denis. Avec bien du mal il arriva à remettre le message à M. Cherrier, garde forestier, pour le colonel. Par la même voie, le colonel Franks disait au major et au capitaine de rester où ils étaient et qu’il les ferait prévenir au moment propice. Dans leur hâte de combattre, ils voulaient faire une nouvelle tentative, mon mari s’y opposa. Toutes les forêts étaient cernées par les Allemands, ce fut donc M. Le Rolland qui alla trouver sur leur demande cette dame Marie Renault qui les avait secourus une fois. Mon mari devait y retourner pour organiser un passage avec pelles et pioches et ouvriers. Mais le lendemain 30 octobre, nous recevions la visite d’une dame qui nous dit venir de la part de Mme Marie Renault, cette personne s’était d’abord adressée à plusieurs messieurs du village demandant un monsieur ayant une dent en or et ayant de la famille à Baccarat, cette femme était porteuse d’un mot d’un caporal anglais soi-disant réfugié chez elle, afin de convaincre nos deux officiers britanniques. Nous l’emmenâmes à la grotte qu’ils avaient quittée depuis quelques jours pour s’installer dans un endroit plus ensoleillé, le froid commençant à se faire sentir. Malgré les imperméables que nous leurs avions prêtés et les couvertures, le matin ils avaient froid. Cette femme était munie d’habits civils qu’elle exigea de faire endosser à Denis et Andrew, ils gardèrent leurs blousons militaires dessous. Elle emmena sur sa bicyclette les mitraillettes, donnant au major et au capitaine rendez-vous à la Cense de Coeur à 18h. Nous nous quittâmes donc le 30 octobre à 17h en nous embrassant espérant qu’ils pourraient enfin passer et que nous les reverrions bientôt. Cette femme partit disant qu’elle avait une course urgente à faire à Celles sur Plaine. La nuit vint, une angoisse nous pris, et il nous fut impossible de dormir.

Ndlr : le mot écrit par le Pct. Daines a été remis à la dame Leblanc par le Cpl. Kubiski :
Extrait du rapport de mission – phase exfiltration du Cpl. Kubiski

…/…
« 16 octobre : Mme Leblanc avait décidé de traverser les lignes avec nous, via La Haute Neuville, et est partie faire une reco, mais est revenue nous disant que cela s’avérait impossible de traverser car les Allemands s’étaient repliés du fait de l’occupation de La Chapelle, V 300800, par les Américains.

Durant les jours suivants, elle a préalablement ramené dans sa maison nos uniformes et nos armes de Bertrichamps.

Nous avons toujours eu de quoi manger et une fille nommée Suzanne Coffe, qui vivait chez Mme Leblanc et cuisinait pour les Allemands, nous amenait régulièrement des boites de conserve.
Nous avons décidé d’attendre les Américains.

Quelques jours plus tard, une femme (ndlr : Marie Renault) est venue dire à Mme Leblanc qu’il y avait deux officiers à Pierre Percée, qui voulaient à tout prix traverser les lignes. Un de ces officiers avait été blessé quinze jours ou trois semaines plus tôt, mais avait été soigné par une infirmière française à Pierre Percée. Il avait été soigné et souhaitait désormais traverser les lignes. Mme Leblanc a décidé de ramener immédiatement ces deux officiers à sa maison. Je lui ai donné un message écrit en anglais par Daines. Je lui ai dit d’envoyer les officiers par un sentier forestier jusqu’à un RDV avec eux dans la soirée à l’extérieur de Raon l’Etape, à un point que je lui ai montré sur la carte. Cependant, ils n’ont malheureusement pas pu suivre mes consignes, car elle les avait habillés en civil, et ils sont tous partis sur la route ; où ils ont été arrêtés par une sentinelle dans la périphérie de La Trouche. Mme Leblanc et les officiers ont été amenés à la Gestapo de Celles.

Mme Leblanc a été jugée par la Gestapo, et a demandé pitié à genou, et les a implorés d’avoir de la pitié pour ses deux jeunes enfants, elle a été fusillée ».
…/…

À 05h30 du matin, coups de crosse dans la porte avec l’ordre d’ouvrir et nous nous trouvâmes en présence d’officiers et de soldats en tenue allemande avec leurs armes braquées sur nous. Haut les mains, on fit ouvrir la bouche à mon mari pour voir s’il avait une dent en or et dès lors il commença à être battu en lui demandant où étaient les Anglais pensant qu’il y en avait d’autres. Il voulait l’emmener sans être habillé, je m’interposais, je fus moi-même frappée, insultée, mais je n’ai aucune souvenance des coups, des insultes, je ne sentais rien, j’étais galvanisée. Dans un effort suprême, mon mari put se vêtir et on l’emmena à Celles sur Plaine. De nouveau il fut frappé à coups de nerfs de boeufs, malgré les coups il ne répondit pas à l’interrogatoire, ils voulaient connaitre le nom des personnes qu’il avait vues la veille, il ne parla pas. Lorsque vers 11h00 on introduisit Andrew et Denis il vit la stupeur dans leurs yeux, de la constatation de l’arrestation de mon mari. Lorsqu’ils furent en route dans le camion, Andrew dit qu’ils avaient passé une nuit affreuse, ayant froid, qu’ils n’avaient eu aucun égard à leur grade et avaient été jetés au cachot comme de vulgaires vagabonds. Andrew ajouta : 

« Ne croyez pas que nous soyons pour quelque chose dans votre arrestation ».

Certes mon mari ne pensa pas cela, ni moi non plus, et il lui dit ceci en face de Mme Leblanc, pendant ce transfert. Moi, j’étais immédiatement mise à la porte, argent, bijoux, fourrures, tout fut pillé, j’avais pour 200.000 francs de fourrures, autant de bijoux et l’argent liquide 83.000 francs. Tout fut enlevé : bêtes, nourriture, meubles intéressants, tapis. Je restai là à les regarder sabler le champagne dans mes coupes de cristal Baccarat et pas un pleur n’a jailli de mes yeux. Je pensais aux trois, puis la réaction se faisant je défiai l’officier par mon mépris, par des mots de lâche, d’ignoble ordure, et lui de répondre :

Veux-tu te taire ta g… ».

Je continuai, si bien que je fus à mon tour emmenée. Mais à un détour du chemin, je continuais d’invectiver les soldats que je voyais avec mes bijoux, alors l’officier fit arrêter la voiture demandant ce qui se passait. Un noir de la phalange africaine répondit :

« Chef, femme trop dure, rien à faire ».
« Bon, foutez-la en bas ».

Je lui montrais le crucifix que j’avais dans la poche de mon manteau sur ma chemise de nuit et leur dit :

« Voici celui qui vous punira ».
« On s’en f… ».

Mais une demi-heure après, la voiture capotait avec les noirs et l’officier et ma volaille. Le poste radio où nous écoutions Londres et les messages a été retrouvé quelques temps après. Ils mirent une demi-journée à remettre leur voiture sur pied.

FREDERIC LE ROLLAND

Je m’aperçois que ma femme a omis de mentionner que nos deux protégés avaient tenter de passer les lignes vers Senonnes. Après avoir compulsé leurs cartes, il nous semblait que c’était un lieu favorable. Hélas, deux jours après nous vîmes le signal de leur retour. Je me hâtais de leur porter un peu de réconfort. Les malheureux étaient fatigués, mouillés et avaient faim car ils ne voyageaient que de nuit. J’appris qu’ils n’avaient pas été reçus par des âmes charitables chez le curé et un chef du maquis. Il est vrai que ces pays avaient particulièrement souffert et les gens vivaient sous une véritable terreur.

Je reprends la suite de mon arrestation, en arrivant à Allarmont on nous sépara afin que nous ne puissions communiquer. Nous étions sous la surveillance de soldats Allemands ou des jeunes miliciens de qui j’eus particulièrement à souffrir. Andy me demanda plus tard pour quel motif on me torturait de la sorte. J’eus l’occasion de demander à la femme Leblanc pourquoi elle m’avait dénoncé, elle me répondit qu’elle avait été obligée devant les menaces que l’on lui fit ; ce qui n’était pas une raison. Elle se rétracta plus tard en disant que ce n’était pas elle. Nous étions interrogés souvent, moi pour connaitre les personnes que j’avais été voir le 29 et sans passeport où je prenais le ravitaillement. Nos rations étaient médiocres à ce moment et nos amis furent arrêtés avec une musette de pain grillé, vin, pâté et denrées diverses. On me reprocha d’avoir été en forêt car l’interdiction était formelle sous peine de mort. Ils voulaient également savoir qui avait soigné le Major. Combien de temps ils étaient restés. Que j’aurais dû les signaler aux autorités allemandes. Je lui répondis que ma conscience me le défendait. Que j’avais vu des hommes malheureux qui avaient faim et que la charité n’avait pas de patrie, sans dire le temps qu’ils restèrent. Le soir je fus interrogé de nouveau par quatre officiers et une dizaine de miliciens. Le commandant me brutalisa, toujours pour connaitre les personnes que j’avais été voir. Ils décidèrent d’aller voir ma femme le lendemain et malheur à moi si ses réponses ne concordaient pas avec les miennes. Je sus à mon retour que ma femme avait eu la visite de deux miliciens mais qu’ils n’avaient pas été plus renseignés qu’avec moi.

Le lendemain je fus enfermé avec la femme Leblanc sous la garde d’un milicien nommé Gérard. Sans aucun prétexte, il me fit mettre le nez au mur, les mains au-dessus de la tête en me menaçant de son revolver si je me retournais. Pendant ce temps sur son canapé, il assouvissait un désir corporal avec la femme Leblanc. J’eus beau lui dire que j’étais fatigué et sans aucun égard à mon âge, il me répondait avec son accent faubourien « Je ne veux pas le savoir ». Le soir, Denis et Andrew rentrèrent avec le commandant et je fus étonné de me sentir les bras abaissés et me faire assoir doucement. Je ne compris rien, celui-ci ayant été si brutal la veille et si doux le lendemain. J’appris plus tard que Andrew était intervenu en ma faveur.

Le lendemain on me fit monter en voiture sous bonne garde. Nous nous arrêtâmes à Badonviller dans l’intention de m’y laisser. Mais la Gestapo était partie car le bombardement était intense et les Américains n’étaient plus très loin. Nous continuâmes notre chemin jusqu’à Cirey. Je remarquais que la femme Leblanc y était déjà arrivée. On me fit descendre dans une cave qui servait de prison. Aucune hygiène, pas de tinette, pour nos besoins il nous fallait retirer une plaque pour avoir accès à un égout qui passait dans la cave. Il y avait déjà deux prisonniers, il en arriva d’autres par la suite.

Le 8 (ndlr : novembre), j’eus la satisfaction de voir par la lucarne descendre Denis et Andrew. Quel bonheur de nous revoir, de nous embrasser. Nous pûmes causer à voix basse, un poste d’écoute aurait pu y être installé et des mouchards parmi nous. L’impression d’Andrew était que la femme Leblanc les avait perdus intentionnellement en les jetant dans les bras de l’ennemi, car elle n’ignorait pas que les routes étaient gardées. Je leur faisais remarquer qu’ils auraient pu se cacher ; car cette route est bordée de sapinières et buissons. Ils me répondirent qu’il eut été incorrect de leur part de laisser une femme seule.

Ils étaient souvent interrogés sur un cahier de notes qui avait été trouvé sur eux. Le Major souffrait car les brutes lui montaient sur le ventre pour le faire parler, dans ce moment-là il était atteint de dysenterie. La nuit ils me faisaient coucher au milieu d’eux car j’avais très froid et ils avaient pu obtenir une couverture pour deux.

Nous apprîmes par un nouvel arrivant que Baccarat et Bertrichamps avaient été délivrés le 31 octobre. Quel malheur de ne pas avoir attendu quelques jours. Ils s’inquiétaient surtout de mon sort.
Andy me dit après avoir été interrogé :

« Nous avons obtenu du commandant que vous ne seriez pas fusillé».

Je leur demandais ce qui adviendrait pour eux :

« Nous allons être envoyés dans un camp anglais en attendant la fin de la guerre ».

Les pauvres enfants vivaient dans l’espérance, ils ne prévoyaient pas ce qui leur arriverait. Ils partirent le 11 novembre sans que je les revis.

Le 13, le bombardement sur Cirey était intense, les Allemands et miliciens qui étaient à Allarmont vinrent rejoindre ceux de Cirey. En montant dans le car un des miliciens qui était présent lors de mon arrestation eut l’audace de me dire :

« Vous êtes encore de ce monde vous ! ».

Nous arrivâmes à Schirmeck vers 21h00, on nous conduisit au cachot après fouille sans manger. Le lendemain on nous emmenât au coiffeur pour nous tondre les cheveux, ceci terminé on nous fit aligner le nez au mur et j’eus la satisfaction d’être accosté par un homme nommé Girardin qui me souhaita bon courage de la part de Denis et Andrew. J’appris qu’ils étaient au cachot. Par la suite et par cet homme nous continuâmes à correspondre car je ne retournais pas au cachot. Jusqu’au 23, jour où nous étions heureux : on voyait la retraite s’accentuer, les sentinelles se retiraient des miradors, des bruits nous étaient parvenus que Strasbourg était pris, que nous allions être libérés. On nous fit sortir de nos baraques pour aller reprendre ce que nous avions déposé au vestiaire. Comme je ne possédais rien, l’argent que ma femme avait pu me donner m’avait été soustrait à Celles. L’idée me vint de quitter les rangs et d’aller aux cachots. Le gardien me fit entrer et j’eus la joie de voir mes deux amis avec un lieutenant de leur régiment. Ils me demandèrent la permission de l’amener avec nous car ils croyaient aussi à la délivrance. Nous devions nous retrouver à Pierre Percée et fêter ce beau jour. Hélas, le soir vers 23h00, on nous fit sortir de nos baraques, réunis dans la salle des fêtes pour nous compter. C’est à ce moment que nous aurions pu nous évader si nous avions connu le peu d’effectif qui nous gardait. On nous installa dans des camions. Après avoir fait un voyage affreux on arriva dans un camp qui se nommait Niederbühl. Je remarquais que mes amis n’y étaient pas. Je restais à ce camp jusqu’au 8 décembre. Ayant demandé des métallurgistes, je me mis sur les rangs. On nous amena à Gaggenau, camp infecte. Je retrouvais plusieurs jeunes camarades, entre autres, Gérardin, qui me fit comprendre que les prisonniers qui étaient aux cachots de Schirmeck avaient été emmenés en camions, accompagnés de Russes armés, qu’il avait peur qu’ils aient été fusillés. Devant ma peine, il me consola en me disant qu’il ne fallait pas croire tout ce que l’on disait. Je sus par lui qui était dans le même camion qu’Andrew et Denis, que plusieurs avaient pu s’évader en coupant la toile, qu’Andrew ne l’avait pas fait, pour Denis qui était encore impotent de sa main.

Je restais à ce camp après avoir bien souffert, mais moi je vis. Nous fûmes libérés le 03 avril 1945 mais nous n’étions pas au bout de nos peines, jusque Strasbourg. Enfin j’arrivais chez moi le 15 avril à la stupéfaction de beaucoup de gens qui ne me croyaient plus de ce monde. Je vis et appris de bien tristes choses : une partie de ma famille déportée ou emprisonnée, un frère mort à Buchenwald.

J’appris que la femme Leblanc fut libérée le 20 novembre, qu’aucune perquisition n’avait été faite à son domicile après son arrestation. Je sus également qu’une femme avait accompagné l’officier chargé de m’arrêter afin de connaitre mon domicile. J’allais voir le garde Cherrier qui avait été en relation avec le colonel Franks, celui-ci était parvenu à passer les lignes vers Senones. (Je sus) Que le second message d’Andrew n’avait pas pu le toucher car ils avaient dû partir précipitamment.

Des camarades de Celles, du comité d’épuration vinrent me voir et me demandèrent un rapport qui fut donné à leur président Nommé Isler, mais au lieu de l’envoyer au colonel De Granval, il le garda et en fit part au nommé Thorr. Le lendemain je recevais une lettre de menace de la femme Leblanc que je devais cesser ces plaintes contre elle car elle m’enverrait les gendarmes. J’ai appris quelques temps après que ce nommé Isler avait été arrêté pour intelligence avec l’ennemi. Je refis ce rapport et l’envoyais par l’intermédiaire du comité de Pierre Percée. Quelques jours après, un officier me fit appeler après enquête, il avait des preuves que c’était bien la femme Leblanc qui m’avait fait arrêter. Le lendemain, il me disait qu’il ne pouvait rien faire, que devant les papiers élogieux des Anglais, que cette femme lui avait montré, que je retire ma plainte car cela pourrait me nuire. (Je ne vois pas en quoi). La gendarmerie de Meurthe et Moselle en a été également avisée, le juge d’instruction s’en occupe mais cela est très long.

J’eus également la visite d’officiers Anglais pour enquête, ils ne croient pas non plus la femme Leblanc coupable. Lorsque que ma femme leur dit le nom de l’officier qui nous avait arrêtés, Robert Warest, de la phalange africaine, ils nous répondirent que cela ne les intéressait pas. Cependant, par lui, les enquêteurs auraient peut-être pu connaitre l’énigme de cette affaire.

Le colonel Franks et des camarades d’Andrew vinrent aussi nous voir, nous apporter un diplôme, et parler des chers disparus. Nous apprîmes que la femme Leblanc s’était vantée d’être venue à Pierre Percée ravitailler ces officiers, ce qui est faux, car elle ne connaissait pas le pays, ayant demandé le 29 octobre le chemin à un habitant nommé Michel. Cela prouve de quoi est capable cette femme dont la réputation et la moralité ne sont pas exemplaires à Raon l’Etape.

Myrhiam et Frédéric Le Rolland reçurent un message personnel du Général Calvert en juin 1945, et une décoration de Sa Majesté britannique, fut décernée à Frédéric, pour services rendus à l’armée anglaise : une feuille de laurier en argent qui lui fut remise le 15 février 1948 par le consul général britannique de Strasbourg (Ndlr : la King’s Commendation – Eloge du Roi)

C’est en mars 1947, que Myrhiam et Frédéric Le Rolland décidaient de remettre en commun par écrit leur récit, ayant abandonné ce projet au retour de Fred. Et ce, à la demande de Melle Clerc, professeur d’Anglais, qui en faisait la requête pour les familles Whately-Smith et Reynolds. Un premier journal avait été rédigé puis déchiré.

Démoralisé, et revenu déprimé de sa déportation, Frédéric avait dû renoncer à son projet de mettre par écrit ses souvenirs.

D’autre part, les déboires et les méandres de la justice n’avaient pu inquiéter la dame Leblanc, ce qui fut décourageant.
…/…
Marie Le Rolland est décédée en 1950, et Frédéric le 16 août 1970. Frédéric est inhumé à Pierre Percée, dans ce village où il fit preuve d’un grand courage, au milieu d’un paysage qu’il aimait tant.

Notes : Dans ce journal, Anthony WHATELY-SMITH est appelé Andrew ou Andy, Denis REYNOLDS est appelé Denis. Frédéric LE ROLLAND est désigné par Frédéric, Fred, ou encore Freddy. Marie LE ROLLAND est appelée Marie ou Myrhiam.